mercredi 24 février 2010

Le Web chinois joue sur les mots pour critiquer la censure

Par Benoît Guivellic | Aujourd'hui la Chine | 24/02/2010 | 15H44

(De Pékin) Né il y a à peine une semaine, le lézard Yake est une créature imaginaire utilisée par des internautes pour se moquer de leur gouvernement. Après le « cheval d'herbe et de boue », voici un nouvel exemple de l'inventivité joyeusement subversive de ces Web-citoyens.
Une nouvelle créature rode sur le Web chinois censuré. Le lézard Yake (en chinois, « Yakexi ») est né à la suite du gigantesque show du Nouvel An chinois de CCTV, la télévision d'Etat chinoise. Lors de cette soirée (qui totalise chaque année la plus grande audience au monde), une performance de chanteurs ouïgours vantant les mérites de la politique du Parti n'a pas convaincu tous les internautes.

On se souvient en effet des événements de juillet 2009, lorsque de violentes émeutes au Xinjiang avaient abouti à la mort d'environ 200 personnes, majoritairement des chinois Han.

« La politique du comité central du Parti est yakexi » (« bonne », en langue ouïgoure), ont pourtant chanté sur CCTV de joyeux habitants du Xinjiang, vantant pêle-mêle l'excellent système de retraites, de santé, la politique fiscale ou éducative du gouvernement. (Voir la vidéo : http://www.youtube.com/watch?v=-PqlaNR1BF8&feature=player_embedded)

Jugeant cette prestation peu crédible, des internautes malicieux ont remplacé le « xi » de « yakexi » par un homonyme signifiant « lézard ».

La politique du comité central du Parti est yakexi
Depuis, le lézard Yake se promène sur les forums chinois, permettant aux internautes de tourner en ridicule la propagande gouvernementale. En une semaine, les Web-citoyens se sont amusés à lui construire toute une identité. La créature aurait eu un passé glorieux en Union soviétique, région dans laquelle l'espèce est maintenant pratiquement éteinte. Elle se serait désormais établie dans des régions du monde telles que la Corée du nord, Cuba ou la Chine.

Selon un article de l'encyclopédie collaborative de Baidu (qui a vite été supprimé par les autorités), le lézard Yake se nourrit de crabes de rivières. Ces derniers sont une autre création des internautes : « crabe de rivières » est en effet l'homonyme presque parfait de « harmoniser », euphémisme très prisé par les internautes pour évoquer la censure du Web.

Le lézard Yake doit aussi une part de sa popularité au célèbre blogueur Han Han, de plus en plus critique vis-à-vis de la politique du gouvernement. Dans un billet daté du 15 février, il a lancé un « grand concours artistique Yakexi ». Les internautes étaient appelés à modifier les couplets de la chanson, en gardant le refrain original.

Les réponses ont été nombreuses, et comme on pouvait s'y attendre, certaines ont été plutôt virulentes. A la place des paroles originales, un internaute a par exemple proposé :

« Les prix de l'immobilier s'envolent,

Les subventions aux pauvres atterrissent dans la poche des fonctionnaires,

Yakexi est un conte de fée.

Qu'est-ce qui est Yakexi ? Qu'est-ce qui est Yakexi ?

La politique du comité central du Parti est Yakexi ! »

Bestiaire subversif de l'Internet chinois
Le lézard Yake n'est pas la première créature à subvertir l'espace virtuel chinois. Avant lui, les internautes avaient créé le « cheval d'herbe et de boue », qui se prononce « caonima », comme une insulte particulièrement vulgaire en chinois.

Celui-là vit dans le désert « ma le » (se prononçant exactement comme « le vagin de ta mère »), et son existence est menacée par les crabes de rivière. Symbole de la résistance contre la censure sur Internet, il a connu un succès fulgurant, vite décliné en peluches, clips, chansons et dessins animés. (Voir la vidéo : http://www.youtube.com/watch?v=wKx1aenJK08&feature=player_embedded)


Un faux documentaire animalier a également été posté récemment sur les sites de partage vidéo, caricaturant la censure du Web chinois. (Voir la vidéo : http://www.youtube.com/watch?v=R2n5GoGWmb0&feature=player_embedded)


Intitulé « Le Monde animal : les animaux en résidence », il présente de façon satyrique la relation des chinois à Internet :

« Pour les autres espèces animales, Internet est la plupart du temps quelque chose d'insondable, très peu propice à toute forme de vie. Mais au contraire, pour les animaux en résidence [les internautes chinois, ndlr], c'est un paradis. »

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